Pour connaître et faire respecter tes droits
Criminalisation
La criminalisation de la transmission et/ou de l’exposition au VIH est un phénomène vivement condamné par l’ONUSIDA (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/Sida) et d’autres instances internationales.
Au Québec, la COCQ-SIDA (Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida) considère elle aussi que le recours au droit criminel devrait uniquement être utilisé dans les cas de transmission intentionnelle et réelle du VIH, et ne devrait pas être utilisé contre les personnes qui n’avaient pas l’intention de porter préjudice à autrui.
De même, la COCQ-SIDA considère que le droit criminel ne devrait jamais être utilisé à l’encontre de personnes vivant avec le VIH qui prennent les précautions nécessaires pour protéger leurs partenaires.
La problématique de la criminalisation de l’exposition au VIH au Canada demeure pourtant bien réelle. L’approche canadienne, qui criminalise la non-divulgation du statut sérologique dans certaines circonstances, est l’une des plus sévères au monde.
Au Canada, une personne vivant avec le VIH a l’obligation de divulguer son statut sérologique à son ou sa partenaire avant une activité sexuelle qui comporte une « possibilité réaliste de transmission du VIH ». Si elle ne divulgue pas son statut VIH alors qu’elle en avait l’obligation, elle pourrait être accusée d’avoir commis un acte criminel, dont une agression sexuelle grave. Une personne peut donc être accusée, poursuivie et reconnue coupable, sans égard à l’intention de transmettre le VIH. Une personne peut également être accusée, poursuivie et reconnue coupable qu’il y ait eu transmission ou non.
D’où vient cette obligation de divulgation ?
Ce sont les tribunaux qui, en interprétant le Code criminel, ont établi une obligation légale de divulguer sa séropositivité au VIH avant une relation sexuelle. Aucune loi ne l’impose explicitement.
Dans une décision de 1998, la Cour suprême du Canada a établi que les personnes vivant avec le VIH ont l’obligation de divulguer leur statut sérologique avant une activité sexuelle qui comporte un « risque important de lésions corporelles graves ». Dans deux décisions de 2012, la Cour a précisé qu’un tel risque est présent lorsqu’il existe une « possibilité réaliste de transmission du VIH ».
Il n’y a donc pas d’obligation généralisée de divulgation au Canada. L’obligation de divulguer sa séropositivité avant une activité sexuelle n’existe qu’en présence d’une « possibilité réaliste de transmission du VIH ».
Qu’est-ce qu’une « possibilité réaliste de transmission du VIH » ?
Dans ses décisions de 2012, la Cour suprême ne spécifie pas ce qu’elle veut dire par « possibilité réaliste de transmission du VIH ». Cependant, elle indique qu’il n’y a pas de possibilité réaliste de transmission lorsque la personne séropositive a une charge virale faible (moins de 1500 copies/ml) ET qu’un condom est utilisé.
Lorsque ces deux critères sont réunis, la personne séropositive n’a pas l’obligation de divulguer son statut sérologique au VIH à son ou sa partenaire avant la relation sexuelle parce que, selon la Cour, il n’y a pas de « possibilité réaliste de transmission du VIH ».
La charge virale, c’est quoi ?
- Charge virale: quantité de VIH dans le sang d’une personne séropositive. Généralement mesurée en nombre de copies du virus par millilitre de sang. Un traitement efficace a pour effet de diminuer la charge virale. Avoir une charge virale faible est bénéfique pour la santé de la personne vivant avec le VIH et réduit le risque de transmission du VIH.
- Charge virale indétectable ou « supprimée »: en droit criminel canadien, on considère qu’une charge virale « indétectable » ou « supprimée » est inférieure à 200 copies/ml. Aujourd’hui, la science est claire à l’effet qu’une personne qui a une charge virale « indétectable » ou « supprimée » ne peut pas transmettre le VIH par voie sexuelle.
- Charge virale « faible » ou « basse »: en droit criminel canadien, une charge virale « faible » a été définie comme étant inférieure à 1500 copies/ml.
Pendant longtemps, la combinaison d’une charge virale faible et de l’utilisation d’un condom a été considérée comme le seul moyen de prévenir une « possibilité réaliste de transmission » aux yeux des procureur·es et des tribunaux.
Pourtant, la Cour suprême a indiqué qu’il pourrait y avoir d’autres circonstances où le critère de « possibilité réaliste de transmission du VIH » ne serait pas rempli, et que le droit pourrait s’adapter aux futures avancées thérapeutiques et aux circonstances où des facteurs de risque différents sont en cause.
Les policier·ères, procureur·es, juges et législateur·trices font cependant preuve de beaucoup de lenteur – voire de réticence – à reconnaître les avancées scientifiques. Dans les cas de criminalisation, le critère de « possibilité réaliste de transmission du VIH » ne reflète donc pas systématiquement les données scientifiques les plus récentes.
Pourquoi est-ce que le chef d’agression sexuelle grave est le plus utilisé dans les cas de non-divulgation ?
Comme mentionné plus haut, la non-divulgation du statut sérologique ne se retrouve pas dans le Code criminel. Les poursuites pour non-divulgation du statut sérologique au VIH sont le plus souvent intentées sous les dispositions ayant trait aux agressions sexuelles, notamment comme « agression sexuelle grave ».
Comme l’explique le Réseau juridique VIH, l’argument invoqué est le suivant : s’il y a une « possibilité réaliste de transmission du VIH », ne pas dévoiler son statut sérologique au VIH à son ou sa partenaire constitue une « fraude ». Or, en vertu de l’article 265 du Code criminel, le consentement à un contact physique n’est pas valide s’il est obtenu au moyen d’une fraude. Ainsi, une relation sexuelle entre deux partenaires consentant·es devient une agression sexuelle au regard du droit et est considérée au même titre qu’une relation sexuelle forcée ou sous la contrainte. Pour les poursuivant·es, l’exposition d’un·e partenaire au VIH répond au critère de « grave » puisqu’on considère que cela met sa vie en danger.
Pourtant, la science entourant le traitement du VIH et nos connaissances sur les risques de transmission ont grandement évolué depuis 1998, même depuis 2012, et le droit devrait faire de même.
Au Canada, l’infection au VIH est désormais considérée comme une maladie chronique, notamment grâce à la disponibilité et l’accessibilité des traitements antirétroviraux. De plus, nous savons que le VIH se transmet difficilement par voie sexuelle, et que des moyens de prévention efficaces existent. C’est pourquoi le recours au chef d’agression sexuelle grave, et les peines et pénalités qui en découlent, sont souvent hors de proportion avec tout préjudice potentiel ou avéré.
L’agression sexuelle grave est l’un des crimes les plus sérieux prévus au Code criminel, et est associé à une possible peine maximale d’emprisonnement à vie ainsi qu’à une inscription obligatoire au registre des délinquant·es sexuel·les. Les personnes reconnues coupables de ce crime qui n’ont pas la citoyenneté canadienne risquent également d’être expulsées du pays.
Le recours aux dispositions relatives aux agressions sexuelles dans des affaires alléguant la non-divulgation du VIH est critiqué. La COCQ-SIDA et ses partenaires sont d’avis que recourir aux dispositions sur l’agression sexuelle dans les cas de non-divulgation de la séropositivité porte préjudice aux personnes vivant avec le VIH, et affaiblit d’autant plus la capacité des dispositions sur les agressions sexuelles à répondre adéquatement aux violences sexuelles.
VIH et risque de transmission : que disent les scientifiques ?
En 2018, des dizaines d’expert·es scientifiques internationaux·ales ont cosigné une déclaration de consensus sur l’utilisation de la science pour évaluer le risque de transmission du VIH dans le contexte de poursuites pénales et criminelles.
La liste suivante résume certaines conclusions de cette déclaration de consensus. Elle utilise le même vocabulaire et critères d’évaluation du risque que cette publication scientifique.
Si la personne vivant avec le VIH a une charge virale « indétectable » ou « supprimée »
Il n’y a aucune de possibilité de transmission du VIH lors de rapports sexuels, même sans condom.
Si la personne vivant avec le VIH a une charge virale « faible » ou « basse »
La possibilité de transmission se situe entre nulle et négligeable lors d’une relation sexuelle sans condom.
Lors de rapports sexuels avec condom
Le VIH ne peut pas être transmis lorsqu’un condom est utilisé correctement, peu importe la charge virale. Le VIH ne traverse pas la membrane intacte d’un condom de latex ou de polyuréthane.
Lors du sexe oral
La possibilité de transmission du VIH varie de nulle à négligeable en cas de sexe oral pratiqué sur une personne séropositive (y compris lorsque sa charge virale est supérieure à 1500 copies/ml), sans condom. Il n’y a aucune possibilité de transmission en cas de sexe oral pratiqué sur une personne séropositive lorsque sa charge virale est inférieure à 1500 copies/ml ou qu’un condom est correctement utilisé ou que le ou la partenaire séronégatif·ve prend la PrEP (prophylaxie pré-exposition).
Lors des rapports sexuels vaginaux
Le risque de transmission est faible lors de relations sexuelles vaginales sans condom lorsque le ou la partenaire séropositif·ve a une charge virale supérieure à 1500 copies/ml. Le risque de transmission varie de nul à négligeable lorsque le ou la partenaire séropositif·ve a une charge virale inférieure à 1500 copies/ml ou utilise un condom, ou que le ou la partenaire séronégatif·ve prend la PrEP.
Lors de rapports sexuels anaux
Le risque de transmission est faible lors de relations sexuelles anales sans condom lorsque le ou la partenaire séropositif·ve a une charge supérieure à 1500 copies/ml. Le risque de transmission est encore plus faible quand la personne séropositive est celle qui se fait pénétrer. Il est également plus faible si la personne séropositive qui pénètre n’éjacule pas à l’intérieur de son ou de sa partenaire. Le risque de transmission varie de nul à négligeable lorsque le ou la partenaire séropositif·ve a une charge virale inférieure à 1500 copies/ml ou qu’un condom est utilisé, ou que le ou la partenaire séronégatif·ve prend la PrEP.
Si une personne séronégative prend la PrEP (prophylaxie pré-exposition)
Le risque d’infection au VIH est considérablement diminué en cas de prise de la PrEP.
Si une personne séronégative prend la PPE (prophylaxie post-exposition)
La possibilité de risque d’infection au VIH diminue considérablement en cas de prise de la PPE.
Note: puisque son interprétation est laissée aux procureur·es et aux tribunaux de chaque province, lesquel·les interprètent différemment les données scientifiques, l’application du critère de la « possibilité réaliste de transmission » varie selon l’endroit où l’on se trouve au Canada.
Obligation de divulgation : situation actuelle au Québec
La présente section résume l’état des lieux en matière de criminalisation de la non-divulgation au Québec, en se basant sur les décisions judiciaires pertinentes ainsi que sur les communications et documents émis par les autorités publiques québécoises. Il ne s’agit en aucun cas de conseils juridiques, mais bien d’information juridique sur le droit en vigueur et les critères applicables à l’évaluation de la « possibilité réaliste de transmission du VIH ».
Puisqu’il n’existe toujours aucune directive claire et publique à l’intention des procureur·es, la situation ne peut évoluer qu’au fil des décisions judiciaires ou des changements aux politiques internes du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).
Circonstances où il n’y a pas d’obligation de divulgation
Il n'y a pas d'obligation de divulgation quand il n’y a pas de « possibilité réaliste de transmission. »
En plus de la situation décrite dans les décisions de la Cour suprême (combinaison d’une charge virale faible et d’un condom), le DPCP considère dorénavant que le critère de la « possibilité réaliste de transmission » n’est pas satisfait (et que des poursuites ne sont pas justifiées) lorsque la personne vivant avec le VIH suit un traitement antirétroviral comme prescrit et maintient une charge virale inférieure à 200 copies/ml, mesurée par des analyses consécutives de laboratoire tous les quatre à six mois. Une personne qui répond à ces trois critères n’aurait donc pas à divulguer son statut sérologique à ses partenaires avant une activité sexuelle, même lorsqu’un condom n’est pas utilisé.
Cette position est cohérente avec celle que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a adoptée en octobre 2018 concernant l’impact du traitement sur le risque de transmission du VIH. En juin 2019, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a ajouté que lorsque ces trois éléments sont réunis, le critère de la « possibilité réaliste de transmission du VIH » n’est pas satisfait et des poursuites criminelles ne seraient pas justifiées. Le Guide québécois de dépistage des ITSS, mis à jour en 2019, indique aussi que dans cette situation, une personne vivant avec le VIH n’a pas d’obligation légale de divulguer son statut sérologique.
- Combinaison du port du condom + charge virale inférieure à 1500: pas de possibilité réaliste de transmission lors du sexe vaginal, anal ou oral, donc pas d’obligation de divulgation avant l’activité sexuelle.
- Combinaison d'une charge virale inférieure à 200 (indétectable) + prise de traitement ARV comme prescrit + test de charge virale effectué aux 4-6 mois: pas de possibilité réaliste de transmission lors du sexe vaginal, anal ou oral, donc pas d’obligation de divulgation avant l’activité sexuelle.
Mise en garde: le fait que le DPCP considère que des poursuites ne devraient pas être intentées dans ces circonstances ne veut pas dire qu’une personne vivant avec le VIH ne fera pas l’objet d’une enquête policière.
Dès qu’une plainte en non-divulgation est faite à la police, celle-ci pourra enquêter pour voir si la plainte est fondée ou non. Dans le cadre de son enquête, la police pourra notamment interroger la personne visée par la plainte, des témoins, et obtenir des mandats de perquisition (autorisation qui permet à la police de fouiller un lieu à la recherche d’objets ou de documents en particulier).
Les résultats d’enquête seront ensuite soumis au DPCP qui décidera, au vu du dossier, si des poursuites doivent être intentées ou non. C’est à cette étape que la « possibilité réaliste de transmission » sera évaluée.
Il sera donc important de pouvoir démontrer que la personne n’avait pas à dévoiler parce qu’il n’y avait pas de « possibilité réaliste de transmission » (ex. résultats de charge virale, condom, prescriptions, etc.) ou encore, qu’un dévoilement a eu lieu avant la relation sexuelle.
Circonstances où il y a peut-être obligation de divulgation
Dans ce genre de cas, la « possibilité réaliste de transmission » sera évaluée au cas par cas.
Dans les cas de relations orales, vaginales ou anales avec condom, ou dans les cas de relations orales sans condom, le DPCP indique que la « possibilité réaliste de transmission » sera évaluée au cas par cas selon les faits du dossier et les données médicales disponibles, et ce, même lorsque la personne séropositive ne suit pas de traitement.
Cette position est cohérente avec celle de l’INSPQ qui, dans une publication de juin 2019, a reconnu que lors de relations orales, vaginales ou anales adéquatement protégées par un condom ou lors de relations sexuelles orales non protégées par un condom, en l’absence « d’éléments susceptibles d’augmenter le risque de transmission du VIH », le risque de transmission est négligeable, et ce, même si la personne ne suit pas un traitement. Par contre, l’INSPQ ne précise pas quels sont les éléments susceptibles d’augmenter le risque de transmission, bien qu’il fournisse quelques exemples (condom périmé ou déchiré, présence de lésions buccales ou génitales).
Il est donc difficile de statuer sur l’obligation légale de divulguer son statut sérologique dans ce contexte puisque la présence d’éléments susceptibles d’augmenter le risque de transmission sera évaluée au cas par cas, par un·e expert·e, afin de déterminer s’il y avait une « possibilité réaliste de transmission », et donc si la personne avait une obligation de divulguer son statut sérologique.
Ce manque de clarté sur l’évaluation du risque de transmission dans ces cas ne permet pas aux personnes vivant avec le VIH de savoir avec certitude si elles ont l’obligation de divulguer leur statut sérologique avant une relation sexuelle. Ainsi, les personnes vivant avec le VIH qui ne divulguent pas leur statut sérologique à leur partenaire dans ces situations pourraient être exposées à des poursuites, et ce, même si le risque de transmission est scientifiquement négligeable ou inexistant.
Mise en garde : encore une fois, dès qu’une plainte en non-divulgation est faite à la police, cette dernière pourra enquêter pour déterminer si la plainte est fondée ou non. Une fois l’enquête policière terminée, le dossier sera soumis au DPCP, qui décidera si des poursuites doivent être intentées ou non. C’est à cette étape que la « possibilité réaliste de transmission » sera évaluée.
Il sera donc important de pouvoir démontrer que la personne n’avait pas à dévoiler au moment des faits parce qu’il n’y avait pas de « possibilité réaliste de transmission » (ex. résultats de charge virale, condom, prescriptions, etc.) ou encore, qu’un dévoilement a bel et bien eu lieu avant la relation sexuelle.
Circonstances où il y a toujours obligation de divulgation
Il y a toujours obligation de divulguer quand les autorités considèrent manifestement qu’il existe une « possibilité réaliste de transmission. »
Les communications du DPCP et de l’INSPQ sont muettes sur l’évaluation de la « possibilité réaliste de transmission » dans le cadre de certains types de relations sexuelles. C’est le cas, par exemple, des:
- Relations anales ou vaginales sans condom lorsque la personne a une charge virale supérieure à 200 copies/ml, avec ou sans traitement;
- Relations anales ou vaginales sans condom lorsque la personne a une charge virale inférieure à 200 copies/ml, mais ne suit pas de traitement ou procède à des tests de charge virale moins de deux fois par année;
- Relations anales ou vaginales lorsque la personne suit un traitement, mais ne peut atteindre une charge virale indétectable.
Puisqu’aucune politique ou consigne présentement en vigueur au Québec n’aborde directement ces éléments, les personnes vivant avec le VIH qui ne divulguent pas leur statut sérologique à leurs partenaires dans ces situations demeurent vulnérables à des poursuites, et ce, même si le risque de transmission est scientifiquement faible ou inexistant.
En résumé : une approche qui doit être simplifiée
Au Québec, le risque qu’une personne fasse l’objet de poursuites pour ne pas avoir divulgué sa séropositivité au VIH varie grandement selon les circonstances de l’acte sexuel, le type d’acte sexuel et les faits l’entourant.
Il existe beaucoup d’inconnus, par exemple, les éléments considérés comme susceptibles d’augmenter le risque de transmission. Sans compter que le fardeau pesant sur la personne vivant avec le VIH demeure excessivement lourd: démontrer qu’il y a eu dévoilement, prouver l’utilisation du condom, démontrer la prise de traitement tel que prescrit, pouvoir atteindre une charge virale faible, démontrer un suivi médical régulier, prouver l’absence de lésions liées à une ITSS au moment de l’acte, etc.
Pour l’instant, les seuls critères pour évaluer la « possibilité réaliste de transmission du VIH » au Québec sont les suivants :
- Charge virale faible ou indétectable (inférieure à 1500 copies) et port du condom: pas de possibilité réaliste de transmission
- Charge virale indétectable (inférieure à 200 copies/ml) + traitement ARV suivi + tests de charge virale aux quatre à six mois: pas de possibilité réaliste de transmission
- Charge virale supérieure à 1500 copies/ml et port du condom: possibilité réaliste de transmission évaluée au cas par cas par un·e expert·e
- Relations orales sans condom, sans égard au traitement ARV: possibilité réaliste de transmission évaluée au cas par cas par un·e expert·e
Cela laisse beaucoup de personnes vivant avec le VIH dans l’incertitude quant à la manière dont le droit criminel risque – ou non – de s’appliquer à elles, selon leurs circonstances ou leurs activités sexuelles. Cela laisse également présager qu’une divulgation demeure nécessaire dans plusieurs cas où le risque de transmission est pourtant nul.
L’approche québécoise doit aller plus loin
Pour la COCQ-SIDA, recourir au droit criminel en dehors des cas de transmission réelle et intentionnelle est une criminalisation injuste des personnes vivant avec le VIH.
Il en découle que celles-ci se retrouvent criminalisées simplement sur la base de leur statut sérologique. Malgré des développements positifs, l’approche québécoise actuelle aurait pu – et doit – aller plus loin. Le Québec pourrait notamment s’inspirer de directives en vigueur ailleurs au pays qui limitent le recours injuste au droit criminel à l’encontre des personnes vivant avec le VIH.
Par exemple, la COCQ-SIDA déplore que, contrairement à ce qui est prévu dans la directive fédérale, le Québec ne précise pas qu’il ne devrait généralement pas y avoir de poursuite en non-divulgation dans les cas où la personne vivant avec le VIH suit un traitement, même sans atteindre une charge virale inférieure à 200 copies/ml. Il est démontré que la prise d’un traitement réduit le risque de transmission du virus, même lorsque la charge virale n’est pas supprimée. En outre, ce ne sont pas toutes les personnes vivant avec le VIH qui pourront atteindre une charge virale indétectable, même en suivant un traitement. Le fait que le risque de poursuites varie selon la capacité d’une personne à atteindre une certaine charge virale entraîne la hiérarchisation des personnes vivant avec le VIH.
De plus, en entourant de conditions l’atteinte d’une charge virale inférieure à 200 copies/ml (prise d’un traitement et analyses de laboratoire aux quatre à six mois), l’approche québécoise complexifie un principe pourtant simple: il n’y a pas de transmission sexuelle du virus lorsque la charge virale est indétectable. L’ajout de ces conditions vient exclure les personnes qui parviennent à maintenir une charge virale inférieure à 200 copies/ml sans prendre de traitement ou encore, qui n’effectuent des suivis médicaux qu’aux six à douze mois. À titre comparatif, la directive fédérale indique qu’il ne doit pas y avoir de poursuites intentées lorsque la personne a conservé une charge virale inférieure à 200 copies/ml, sans autre condition.
La criminalisation de l’exposition au VIH est un problème, pas une solution
Au Canada, l’utilisation du droit criminel en matière d’exposition au VIH/sida se fonde sur une présomption selon laquelle le droit criminel protège les individus et contribue « à encourager l’honnêteté, la franchise et les pratiques sexuelles moins risquées ». Cependant, rien ne démontre que le droit criminel contribue à la prévention de la transmission du VIH. Au contraire, la criminalisation du VIH a un impact négatif sur la santé publique et porte atteinte aux droits humains des personnes vivant avec le VIH, lesquelles font par ailleurs souvent partie d’autres communautés marginalisées, stigmatisées ou criminalisées.
La criminalisation injuste mène à des arrestations, des poursuites et des condamnations dans des affaires où le risque de transmission du VIH était faible, voire nul. Les enquêtes policières et les poursuites ont un impact disproportionné sur des minorités raciales et sexuelles ainsi que sur les femmes. En outre, les menaces de dénonciation sont souvent utilisées comme moyen de revanche ou de chantage à l’égard d’un·e partenaire vivant avec le VIH. La menace de poursuites peut également dissuader certaines femmes de quitter une relation violente ou de signaler une agression sexuelle à la police, de crainte que leur statut VIH soit utilisé contre elles.
De plus, le recours au droit criminel accentue la stigmatisation et la discrimination envers les personnes vivant avec le VIH. La couverture médiatique des affaires entourant le VIH incluent souvent les noms, adresses et photographies de personnes vivant avec le VIH, y compris sur la base de simples allégations et avant tout verdict de culpabilité. Or, la stigmatisation et la discrimination contribuent à alimenter l’épidémie mondiale du VIH. Il est en effet largement documenté que les violations des droits de la personne constituent des obstacles à la prévention du VIH. La criminalisation détourne aussi l’entière responsabilité de la prévention du VIH sur les personnes vivant avec le VIH, au lieu de miser sur des moyens éprouvés pour responsabiliser toute personne à se protéger.
Au Québec, la COCQ-SIDA considère que le recours au droit criminel n’est pas une solution appropriée pour répondre à l’épidémie de VIH/sida. Toute réponse ou action prise relativement à l’épidémie doit se baser sur les meilleures données scientifiques disponibles et avoir comme objectif principal la santé de la population et la santé de chaque individu. Ainsi, et contrairement à la situation actuelle au Canada et au Québec, des poursuites criminelles ne devraient être entamées que dans des cas très exceptionnels de transmission intentionnelle et réelle. Le recours au droit criminel doit être évité dans toute autre circonstance.
La position de la COCQ-SIDA sur le sujet, en version abrégée et complète, peut être consultée en ligne.
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